Comédie de 1665
Dom Juan, le libertin.
Sganarelle, sorte de confident de dom Juan.
Elvire, femme de dom Juan.
Charlotte et Mathurine, deux paysannes.
Francisque, le pauvre.
Don Luis, le père, la statue du Commandeur
Le noble don Juan, libertin et fier de l'être, passe de femmes en femmes. Aura-t-il du remords?!
Dans un palais, l'on découvre le valet, Sganarelle, qui s'en prend à son maître puis Dom Juan, le maître justement, séducteur immoral qui vient de manquer de respect à Elvire...
SGANARELLE, tenant une tabatière.
Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac: c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens: tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours.
L'écuyer d'Elvire, Gusman, s'entretient avec Sganarelle, le valet de Dom Juan. Il insiste dans une longue énumération sur les différentes démarches trompeuses de Dom Juan:
Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de vœux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paraître, jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas, dis-je, comme, après tout cela, il aurait le cœur de pouvoir manquer à sa parole.
Et Sganarelle de s'emporter contre son maître:
le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons.
SGANARELLE
Moi, je crois, sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en tête.
DOM JUAN
Tu le crois?
SGANARELLE
Oui.
DOM JUAN
Ma foi! tu ne te trompes pas, et je dois t'avouer qu'un autre objet a chassé Elvire de ma pensée.
SGANARELLE
Eh mon Dieu! je sais mon Dom Juan sur le bout du doigt, et connais votre cœur pour le plus grand coureur du monde: il se plaît à se promener de liens en liens, et n'aime guère à demeurer en place.
DOM JUAN
Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raison d'en user de la sorte?
SGANARELLE
Eh! Monsieur.
DOM JUAN
Quoi? Parle.
SGANARELLE
Assurément que vous avez raison, si vous le voulez; on ne peut pas aller là contre. Mais si vous ne le vouliez pas, ce serait peut-être une autre affaire.
DOM JUAN
Eh bien! je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments.
SGANARELLE
En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites.
DOM JUAN
Quoi? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux! Non, non: la constance n'est bonne que pour des ridicules; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs: je me sens un cœur à aimer toute la terre; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
SGANARELLE
Vertu de ma vie, comme vous débitez! Il semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre.
DOM JUAN
Qu'as-tu à dire là-dessus?
SGANARELLE
Ma foi! j'ai à dire… je ne sais; car vous tournez les choses d'une manière, qu'il semble que vous avez raison; et cependant il est vrai que vous ne l'avez pas. J'avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m'ont brouillé tout cela. Laissez faire: une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pour disputer avec vous.
DOM JUAN
Tu feras bien.
SGANARELLE
Mais, Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m'avez donnée, si je vous disais que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez?
DOM JUAN
Comment? quelle vie est-ce que je mène?
SGANARELLE
Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier comme vous faites.
DOM JUAN
Y a-t-il rien de plus agréable?
SGANARELLE
Il est vrai, je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m'en accommoderais assez, moi, s'il n'y avait point de mal; mais, Monsieur, se jouer ainsi d'un mystère sacré, et…
DOM JUAN
Va, va, c'est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes en peine.
SGANARELLE
Ma foi! Monsieur, j'ai toujours ouï dire que c'est une méchante raillerie que de se railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin.
DOM JUAN
Holà! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances.
SGANARELLE
Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde. Vous savez ce que vous faites, vous ; et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons; mais il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien ; et si j'avais un maître comme cela, je lui dirais fort nettement, le regardant en face : « Osez-vous bien ainsi vous jouer au Ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes ? C'est bien à vous, petit ver de terre, petit mirmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit), c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent ? Pensez-vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos vérités? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le Ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort, et que… »
DOM JUAN
Paix !
SGANARELLE
De quoi est-il question?
DOM JUAN
Il est question de te dire qu'une beauté me tient au cœur, et qu'entraîné par ses appas, je l'ai suivie jusques en cette ville.
SGANARELLE
Et n'y craignez-vous rien, Monsieur, de la mort de ce commandeur que vous tuâtes il y a six mois?
[…]
DOM JUAN
Ah! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui nous peut donner du plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ici par celui même qu'elle y vient épouser; et le hasard me fit voir ce couple d'amants trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un de l'autre, et faire éclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion; j'en fus frappé au cœur et mon amour commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble; le dépit alarma mes désirs, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, […]
Et dom Juan de vouloir enlever la belle... Cependant, à la scène 3, il subit la colère d'Elvire et somme Sganarelle, comble de sa lâcheté, de justifier ses actes...
Même lorsqu'il prétend être sincère, Dom Juan se cache encore derrière le masque de la conscience:
DOM JUAN
Je vous avoue, Madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un cœur sincère. Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre, puisque enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir; non point par les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, et pour ne croire pas qu'avec vous davantage je puisse vivre sans péché. Il m'est venu des scrupules, Madame, et j'ai ouvert les yeux de l'âme sur ce que je faisais. J'ai fait réflexion que, pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un convent, que vous avez rompu des vœux qui vous engageaient autre part, et que le Ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste; j'ai cru que notre mariage n'était qu'un adultère déguisé, qu'il nous attirerait quelque disgrâce d'en haut, et qu'enfin je devais tâcher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner à vos premières chaînes. Voudriez-vous, Madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le Ciel sur les bras, que par...?
ELVIRE
Ah! scélérat, c'est maintenant que je te connais tout entier; et pour mon malheur, je te connais lorsqu'il n'en est plus temps, et qu'une telle connaissance ne peut plus me servir qu'à me désespérer. Mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni, et que le même Ciel dont tu te joues me saura venger de ta perfidie.
Rien ne nous est montré de la tentative d'enlèvement sur la mer. On retrouve Dom Juan et Sganarelle sur le bord de la mer...
SGANARELLE
Monsieur, j'avoue que vous m'étonnez. A peine sommes-nous échappés d'un péril de mort, qu'au lieu de rendre grâce au Ciel de la pitié qu'il a daigné prendre de nous, vous travaillez tout de nouveau à attirer sa colère par vos fantaisies accoutumées et vos amours cr... (Don Juan prend un air menaçant) Paix! coquin que vous êtes; vous ne savez ce que vous dites, et Monsieur sait ce qu'il fait. Allons.
DOM JUAN, apercevant Charlotte
Ah! ah! d'où sort cette autre paysanne, Sganarelle? As-tu rien vu de plus joli? et ne trouves-tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre?
SGANARELLE
Assurément. Autre pièce nouvelle.
DOM JUAN
D'où me vient, la belle, une rencontre si agréable? Quoi? dans ces lieux champêtres, parmi ces arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes?
CHARLOTTE
Vous voyez, Monsieur.
DOM JUAN
Êtes-vous de ce village?
CHARLOTTE
Oui, Monsieur.
DOM JUAN
Et vous y demeurez?
CHARLOTTE
Oui, Monsieur.
DOM JUAN
Vous vous appelez?
CHARLOTTE
Charlotte, pour vous servir.
DOM JUAN
Ah! la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants!
CHARLOTTE
Monsieur, vous me rendez toute honteuse.
DOM JUAN
Ah! n'ayez point de honte d'entendre dire vos vérités. Sganarelle, qu'en dis-tu? Peut-on rien voir de plus agréable? Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Ah! que cette taille est jolie! Haussez un peu la tête, de grâce. Ah! que ce visage est mignon! Ouvrez vos yeux entièrement. Ah! qu'ils sont beaux! Que je voie un peu vos dents, je vous prie. Ah! qu'elles sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes! Pour moi, je suis ravi, et je n'ai jamais vu une si charmante personne.
CHARLOTTE
Monsieur, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si c'est pour vous railler de moi.
DOM JUAN
Moi, me railler de vous? Dieu m'en garde! je vous aime trop pour cela, et c'est du fond du cœur que je vous parle.
CHARLOTTE
Je vous suis bien obligée, si ça est.
DOM JUAN
Point du tout; vous ne m'êtes point obligée de tout ce que je dis, et ce n'est qu'à votre beauté que vous en êtes redevable.
CHARLOTTE
Monsieur, tout ça est trop bien dit pour moi, et je n'ai pas d'esprit pour vous répondre.
DOM JUAN
Sganarelle, regarde un peu ses mains.
CHARLOTTE
Fi! Monsieur, elles sont noires comme je ne sais quoi.
DOM JUAN
Ha! que dites-vous là? Elles sont les plus belles du monde; souffrez que je les baise, je vous prie.
CHARLOTTE
Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me faites, et si j'avais su ça tantôt, je n'aurais pas manqué de les laver avec du son.
DOM JUAN
Et dites-moi un peu, belle Charlotte, vous n'êtes pas mariée, sans doute?
CHARLOTTE
Non, Monsieur; mais je dois bientôt l'être avec Pierrot, le fils de la voisine Simonette.
DOM JUAN
Quoi? une personne comme vous serait la femme d'un simple paysan! Non, non: c'est profaner tant de beautés, et vous n'êtes pas née pour demeurer dans un village. Vous méritez sans doute une meilleure fortune, et le Ciel, qui le connaît bien, m'a conduit ici tout exprès pour empêcher ce mariage, et rendre justice à vos charmes; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de tout mon cœur, et il ne tiendra qu'à vous que je vous arrache de ce misérable lieu, et ne vous mette dans l'état où vous méritez d'être. Cet amour est bien prompt sans doute; mais quoi? c'est un effet, Charlotte, de votre grande beauté, et l'on vous aime autant en un quart d'heure, qu'on ferait une autre en six mois.
CHARLOTTE
Aussi vrai, Monsieur, je ne sais comment faire quand vous parlez. Ce que vous dites me fait aise, et j'aurais toutes les envies du monde de vous croire; mais on m'a toujou dit qu'il ne faut jamais croire les Monsieux, et que vous autres courtisans êtes des enjoleus, qui ne songez qu'à abuser les filles.
DOM JUAN
Je ne suis pas de ces gens-là.
SGANARELLE
Il n'a garde.
CHARLOTTE
Voyez-vous, Monsieur, il n'y a pas plaisir à se laisser abuser. Je suis une pauvre paysanne; mais j'ai l'honneur en recommandation, et j'aimerais mieux me voir morte, que de me voir déshonorée.
DOM JUAN
Moi, j'aurais l'âme assez méchante pour abuser une personne comme vous? Je serais assez lâche pour vous déshonorer? Non, non: j'ai trop de conscience pour cela. Je vous aime, Charlotte, en tout bien et en tout honneur; et pour vous montrer que je vous dis vrai, sachez que je n'ai point d'autre dessein que de vous épouser: en voulez-vous un plus grand témoignage? M'y voilà prêt quand vous voudrez; et je prends à témoin l'homme que voilà de la parole que je vous donne.
SGANARELLE
Non, non, ne craignez point: il se mariera avec vous tant que vous voudrez.
DOM JUAN
Ah! Charlotte, je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Vous me faites grand tort de juger de moi par les autres; et s'il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu'à abuser des filles, vous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincérité de ma foi. Et puis votre beauté vous assure de tout. Quand on est faite comme vous, on doit être à couvert de toutes ces sortes de crainte; vous n'avez point l'air, croyez-moi, d'une personne qu'on abuse; et pour moi, je l'avoue, je me percerais le cœur de mille coups, si j'avais eu la moindre pensée de vous trahir.
CHARLOTTE
Mon Dieu! je ne sais si vous dites vrai, ou non; mais vous faites que l'on vous croit.
DOM JUAN
Lorsque vous me croirez, vous me rendrez justice assurément, et je vous réitère encore la promesse que je vous ai faite. Ne l'acceptez-vous pas, et ne voulez-vous pas consentir à être ma femme?
CHARLOTTE
Oui, pourvu que ma tante le veuille.
DOM JUAN
Touchez donc là, Charlotte, puisque vous le voulez bien de votre part.
CHARLOTTE
Mais au moins, Monsieur, ne m'allez pas tromper, je vous prie: il y aurait de la conscience à vous, et vous voyez comme j'y vais à la bonne foi.
DOM JUAN
Comment? Il semble que vous doutiez encore de ma sincérité! Voulez-vous que je fasse des serments épouvantables? Que le Ciel…
CHARLOTTE
Mon Dieu, ne jurez point, je vous crois.
DOM JUAN
Donnez-moi donc un petit baiser pour gage de votre parole.
CHARLOTTE
Oh! Monsieur, attendez que je soyons mariés, je vous prie; après ça, je vous baiserai tant que vous voudrez.
DOM JUAN
Eh bien! belle Charlotte, je veux tout ce que vous voulez; abandonnez-moi seulement votre main, et souffrez que, par mille baisers, je lui exprime le ravissement où je suis.
SGANARELLE, apercevant Mathurine
Ah! ah!
MATHURINE, à Dom Juan
Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi?
DOM JUAN, à Mathurine
Non, au contraire, c'est elle qui me témoignait une envie d'être ma femme, et je lui répondais que j'étais engagé à vous.
CHARLOTTE
Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine?
DOM JUAN, bas, à Charlotte
Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudrait bien que je l'épousasse; mais je lui dis que c'est vous que je veux.
MATHURINE
Quoi? Charlotte...
DOM JUAN, bas, à Mathurine
Tout ce que vous lui direz sera inutile; elle s'est mis cela dans la tête.
CHARLOTTE
Quement donc! Mathurine...
DOM JUAN, bas, à Charlotte
C'est en vain que vous lui parlerez; vous ne lui ôterez point cette fantaisie.
MATHURINE:
Est-ce que...?
DOM JUAN, bas, à Mathurine:
Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison.
CHARLOTTE
Je voudrais...
DOM JUAN, bas, à Charlotte
Elle est obstinée comme tous les diables.
MATHURINE
Vraiment.
DOM JUAN, bas, à Mathurine
Ne lui dites rien, c'est une folle.
CHARLOTTE
Je pense...
DOM JUAN, bas, à Charlotte
Laissez-la là, c'est une extravagante.
MATHURINE
Non, non: il faut que je lui parle.
CHARLOTTE
Je veux voir un peu ses raisons.
MATHURINE
Quoi?
DOM JUAN, bas, à Mathurine
Je gage qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser.
CHARLOTTE
Je...
DOM JUAN, bas, à Charlotte
Gageons qu'elle vous soutiendra que je lui ai donné parole de la prendre pour femme.
MATHURINE
Holà! Charlotte, ça n'est pas bien de courir sur le marché des autres.
CHARLOTTE
Ça n'est pas honnête, Mathurine, d'être jalouse que Monsieur me parle.
MATHURINE
C'est moi que Monsieur a vue la première.
CHARLOTTE
S'il vous a vue la première, il m'a vue la seconde, et m'a promis de m'épouser.
DOM JUAN, bas, à Mathurine
Eh bien! que vous ai-je dit?
MATHURINE
Je vous baise les mains, c'est moi, et non pas vous, qu'il a promis d'épouser.
DOM JUAN, bas, à Charlotte
N'ai-je pas deviné?
CHARLOTTE
À d'autres, je vous prie; c'est moi, vous dis-je.
MATHURINE
Vous vous moquez des gens; c'est moi, encore un coup.
CHARLOTTE
Le vlà qui est pour le dire, si je n'ai pas raison.
MATHURINE
Le vlà qui est pour me démentir, si je ne dis pas vrai.
CHARLOTTE
Est-ce, Monsieur, que vous lui avez promis de l'épouser?
DOM JUAN, bas, à Charlotte
Vous vous raillez de moi.
MATHURINE
Est-il vrai, Monsieur, que vous lui avez donné parole d'être son mari?
DOM JUAN, bas, à Mathurine
Pouvez-vous avoir cette pensée?
CHARLOTTE
Vous voyez qu'al le soutient.
DOM JUAN, bas, à Charlotte
Laissez-la faire.
MATHURINE
Vous êtes témoin comme al l'assure.
DOM JUAN, bas, à Mathurine
Laissez-la dire.
CHARLOTTE
Non, non: il faut savoir la vérité.
MATHURINE
Il est question de juger ça.
CHARLOTTE
Oui, Mathurine, je veux que Monsieur vous montre votre bec jaune.
MATHURINE
Oui, Charlotte, je veux que Monsieur vous rende un peu camuse.
CHARLOTTE
Monsieur, videz la querelle, s'il vous plaît.
MATHURINE
Mettez-nous d'accord, Monsieur.
CHARLOTTE, à Mathurine
Vous allez voir.
MATHURINE, à Charlotte
Vous allez voir vous-même.
CHARLOTTE, à Dom Juan
Dites.
MATHURINE, à Dom Juan
Parlez.
DOM JUAN, embarrassé, leur dit à toutes deux
Que voulez-vous que je dise? Vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis de vous prendre pour femmes. Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit nécessaire que je m'explique davantage? Pourquoi m'obliger là-dessus à des redites? Celle à qui j'ai promis effectivement n'a-t-elle pas en elle-même de quoi se moquer des discours de l'autre, et doit-elle se mettre en peine, pourvu que j'accomplisse ma promesse? Tous les discours n'avancent point les choses; il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux que les paroles. Aussi n'est-ce rien que par là que je vous veux mettre d'accord, et l'on verra, quand je me marierai, laquelle des deux a mon cœur. (Bas, à Mathurine.) Laissez-lui croire ce qu'elle voudra. (Bas, à Charlotte.) Laissez-la se flatter dans son imagination. (Bas, à Mathurine.) Je vous adore. (Bas, à Charlotte.) Je suis tout à vous. (Bas, à Mathurine.) Tous les visages sont laids auprès du vôtre. (Bas, à Charlotte.) On ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vue. J'ai un petit ordre à donner; je viens vous retrouver dans un quart d'heure.
CHARLOTTE, à Mathurine
Je suis celle qu'il aime, au moins.
MATHURINE
C'est moi qu'il épousera.
SGANARELLE
Ah! pauvres filles que vous êtes, j'ai pitié de votre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir à votre malheur. Croyez-moi l'une et l'autre: ne vous amusez point à tous les contes qu'on vous fait, et demeurez dans votre village.
DOM JUAN, revenant
Je voudrais bien savoir pourquoi Sganarelle ne me suit pas.
SGANARELLE
Mon maître est un fourbe; il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d'autres; c'est l'épouseur du genre humain, et... (Il aperçoit Dom Juan.) Cela est faux; et quiconque vous dira cela, vous lui devez dire qu'il en a menti. Mon maître n'est point l'épouseur du genre humain, il n'est point fourbe, il n'a pas dessein de vous tromper, et n'en a point abusé d'autres. Ah! tenez, le voilà; demandez-le plutôt à lui-même.
DOM JUAN
Oui.
SGANARELLE
Monsieur, comme le monde est plein de médisants, je vais au-devant des choses; et je leur disais que, si quelqu'un leur venait dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu'il en aurait menti.
Finalement, poursuivis par les uns et les autres, don Juan et Sganarelle doivent fuir les lieux... déguisés !
SGANARELLE, en médecin
Ma foi, Monsieur, avouez que j'ai eu raison, et que nous voilà l'un et l'autre déguisés à merveille. Votre premier dessein n'était point du tout à propos, et ceci nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire.
DOM JUAN, en habit de campagne
Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule.
SGANARELLE
Oui? C'est l'habit d'un vieux médecin, qui a été laissé en gage au lieu où je l'ai pris, et il m'en a coûté de l'argent pour l'avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l'on me vient consulter ainsi qu'un habile homme?
DOM JUAN
Comment donc?
SGANARELLE
Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies.
DOM JUAN
Tu leur as répondu que tu n'y entendais rien?
SGANARELLE
Moi? Point du tout. J'ai voulu soutenir l'honneur de mon habit: j'ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun.
DOM JUAN
Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés?
SGANARELLE
Ma foi! Monsieur, j'en ai pris par où j'en ai pu attraper; j'ai fait mes ordonnances à l'aventure, et ce serait une chose plaisante si les malades guérissaient, et qu'on m'en vînt remercier.
DOM JUAN
Et pourquoi non? Par quelle raison n'aurais-tu pas les mêmes privilèges qu'ont tous les autres médecins? Ils n'ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature.
SGANARELLE:
Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine?
DOM JUAN
C'est une des grandes erreurs qui soient parmi les hommes.
SGANARELLE
Quoi? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique?
DOM JUAN
Et pourquoi veux-tu que j'y croie?
SGANARELLE
Vous avez l'âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux. Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n'y a pas trois semaines que j'en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux.
DOM JUAN
Et quel ?
SGANARELLE
Il y avait un homme qui, depuis six jours, était à l'agonie; on ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien; on s'avisa à la fin de lui donner de l'émétique.
DOM JUAN
Il réchappa, n'est-ce pas?
SGANARELLE
Non, il mourut.
DOM JUAN
L'effet est admirable.
SGANARELLE
Comment? il y avait six jours entiers qu'il ne pouvait mourir, et cela le fit mourir tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace?
DOM JUAN
Tu as raison.
SGANARELLE
Mais laissons là la médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses; car cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous. Vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me défendez que les remontrances.
DOM JUAN
Eh bien?
SGANARELLE
Je veux savoir un peu vos pensées à fond. Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel?
DOM JUAN
Laissons cela.
SGANARELLE
C'est-à-dire que non. Et à l'Enfer?
DOM JUAN
Eh!
SGANARELLE
Tout de même. Et au diable, s'il vous plaît?
DOM JUAN
Oui, oui.
SGANARELLE
Aussi peu. Ne croyez-vous point l'autre vie?
DOM JUAN
Ah! ah! ah!
SGANARELLE
Voilà un homme que j'aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu (encore faut-il croire quelque chose): qu'est ce que vous croyez?
DOM JUAN
Ce que je crois?
SGANARELLE
Oui.
DOM JUAN
Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.
SGANARELLE
La belle croyance que voilà! Votre religion, à ce que je vois, est donc l'arithmétique? Il faut avouer qu'il se met d'étranges folies dans la tête des hommes, et que, pour avoir bien étudié, on en est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, Monsieur, je n'ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m'avoir jamais rien appris; mais, avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n'est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là-haut, et si tout cela s'est bâti de lui-même. Vous voilà, vous, par exemple, vous êtes là: est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n'a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire? Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l'homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l'un dans l'autre? ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces…, ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là et qui... Oh! dame, interrompez-moi donc, si vous voulez. Je ne saurais disputer, si l'on ne m'interrompt. Vous vous taisez exprès, et me laissez parler par belle malice.
DOM JUAN
J'attends que ton raisonnement soit fini.
SGANARELLE
Mon raisonnement est qu'il y a quelque chose d'admirable dans l'homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauraient expliquer. Cela n'est-il pas merveilleux que me voilà ici, et que j'aie quelque chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu'elle veut? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche, en avant, en arrière, tourner. (Il se laisse tomber en tournant.)
DOM JUAN
Bon! voilà ton raisonnement qui a le nez cassé.
SGANARELLE
Morbleu! je suis bien sot de m'amuser à raisonner avec vous. Croyez ce que vous voudrez: il m'importe bien que vous soyez damné!
SGANARELLE
Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.
LE PAUVRE
Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt; mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que, depuis quelque temps, il y a des voleurs ici autour.
DOM JUAN
Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur.
LE PAUVRE
Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône?
DOM JUAN
Ah! ah! ton avis est intéressé, à ce que je vois.
LE PAUVRE
Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens.
DOM JUAN
Eh! prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.
SGANARELLE
Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme: il ne croit qu'en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit.
DOM JUAN:
Quelle est ton occupation parmi ces arbres?
LE PAUVRE:
De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose.
DOM JUAN
Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise?
LE PAUVRE
Hélas! Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.
DOM JUAN
Tu te moques: un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d'être bien dans ses affaires.
LE PAUVRE
Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents.
DOM JUAN
Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins; ah, ah, je m'en vais te donner un Louis d'or tout à l'heure, pourvu que tu veuilles jurer.
LE PAUVRE
Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?
DOM JUAN
Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un Louis d'or ou non, en voici un que je te donne si tu jures, tiens il faut jurer.
LE PAUVRE
Monsieur.
SGANARELLE
Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal.
DOM JUAN
Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc.
LE PAUVRE
Non Monsieur, j'aime mieux mourir de faim.
DOM JUAN
Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité, mais que vois-je là ? Un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.
Dans les scènes 3 et 4, Dom Juan évite momentanément le duel avec les frères d'Elvire.
Puis il entre dans le mausolée du Commandeur qu'il a tué il y a quelques temps. Il multiplie les provocations (scène 5):
SGANARELLE
Ah! que cela est beau! Les belles statues! le beau Marbre! les beaux piliers! Ah! que cela est beau! Qu'en dites-vous, Monsieur?
DOM JUAN
Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort; et ce que je trouve admirable, c'est qu'un homme qui s'est passé, durant sa vie, d'une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n'en a plus que faire.
La fin de l’acte se termine sur une note fantastique: une statue apparaît...
SGANARELLE
Ma foi, Monsieur, voilà qui est bien fait. Il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feraient peur, si j'étais tout seul, et je pense qu'il ne prend pas plaisir de nous voir.
DOM JUAN
Il aurait tort, et ce serait mal recevoir l'honneur que je lui fais. Demande-lui s'il veut venir souper avec moi.
Sganarelle est obligé par son maître à s'adresser à la statue ... laquelle s'anime
Effet d'optique ou mouvement fantastique: les deux comparses sont loin d'être rassurés...
Dans son appartement, Dom Juan reçoit successivement un créancier, son père et Elvire, et enfin la statue du Commandeur. De scène en scène, la comédie cède au drame...
Le libertin se moque des deux premiers, manque de respect à son père, ce que lui reproche avec ironie Sganarelle:
SGANARELLE
Ah! Monsieur, vous avez tort.
DOM JUAN
J'ai tort?
SGANARELLE
Monsieur.
DOM JUAN se lève de son siège
J'ai tort?
SGANARELLE
Oui, Monsieur, vous avez tort d'avoir souffert ce qu'il vous a dit, et vous le deviez mettre dehors par les épaules. A-t-on jamais rien vu de plus impertinent? Un père venir faire des remontrances à son fils, et lui dire de corriger ses actions, de se ressouvenir de sa naissance, de mener une vie d'honnête homme, et cent autres sottises de pareille nature! Cela se peut-il souffrir à un homme comme vous, qui savez comme il faut vivre? J'admire votre patience; et si j'avais été en votre place, je l'aurais envoyé promener. O complaisance maudite! à quoi me réduis-tu?
DOM JUAN
Me fera-t-on souper bientôt?
La pièce vire au drame fantastique... Dom Juan rencontre un spectre puis, une dernière fois, la statue du Commandeur... Dom Juan foudroyé, la terre s'ouvre à ses pieds, il disparait, laissant à Sganarelle le soin de conclure prosaïquement et comiquement:
[Ah? mes gages! mes gages!] Voilà par sa mort un chacun satisfait: Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il n'y a que moi seul de malheureux, qui, après tant d'années de service, n'ai point d'autre récompense que de voir à mes yeux l'impiété de mon maître punie par le plus épouvantable châtiment du monde. [Mes gages! mes gages! mes gages!]