Comédie de 1664
Tartuffe, l’hypocrite, le faux dévot.
Orgon et Elmire, les époux.
Damis et Mariane, enfants d’Orgon et d’Elmire.
Valère, amant de Mariane.
Dorine, suivante de Mariane.
Tartuffe s'incruste dans la famille d'Orgon qu'il aveugle par sa dévotion et sa religiosité... Orgon se rendra-t-il compte que l'habit ne fait pas le moine?!
Toutes ces scènes ont pour vocation d’exposer l’histoire à venir, c’est-à-dire de montrer les liens qui unissent ou opposent les personnages.
Scène 1
Quand commence la pièce, la mère d’Orgon, madame Pernelle, s’oppose à l’ensemble de la maisonnée au sujet de Tartuffe!
Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée :
Dans toutes les leçons j’y suis contrariée ;
On n’y respecte rien, chacun y parle haut [..]
dont elle excepte Tartuffe pour sa haute moralité, sa dévotion :
C’est un homme de bien, qu’il faut que l’on écoute ;
Et je ne puis souffrir, sans me mettre en courroux,
De le voir querellé par [vous]
C’est contre le péché que son cœur se courrouce,
Et l’intérêt du ciel est tout ce qui le pousse.
Scène 2
Dans cette seconde scène, on découvre que le fils de Madame Pernelle, Orgon, est lui aussi un fervent admirateur de Tartuffe lequel profite de ses libéralités :
[Orgon] est devenu comme un homme hébété,
Depuis que de Tartuffe on le voit entêté ;
Il l’appelle son frère, et l’aime dans son âme
Cent fois plus qu’il ne fait mère, fils, fille, et femme.
[…]
Il l’admire à tous coups, le cite à tout propos ;
Ses moindres actions lui semblent des miracles,
Et tous les mots qu’il dit sont pour lui des oracles.
Lui, qui connaît sa dupe, et qui veut en jouir,
Par cent dehors fardés a l’art de l’éblouir
[et d’en tirer] des sommes.
Scène 3
Annonce du mariage entre Marianne, fille d’Orgon et Valère
Orgon revenu, semble-t-il, de voyage, s’interroge sur ce qui s’est passé durant son absence :
ORGON
Tout s'est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ?
Qu'est-ce qu'on fait céans ? comme est-ce qu'on s’y porte ?
DORINE
Madame eut avant-hier la fièvre jusqu'au soir,
Avec un mal de tête étrange à concevoir.
ORGON
Et Tartuffe ?
DORINE
Tartuffe ! il se porte à merveille,
Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille,
ORGON
Le pauvre homme !
DORINE
Le soir elle eut un grand dégoût
Et ne put, au souper, toucher à rien du tout,
Tant sa douleur de tête était encor cruelle !
ORGON
Et Tartuffe ?
DORINE
Il soupa, lui tout seul, devant elle ;
Et fort dévotement il mangea deux perdrix,
Avec une moitié de gigot en hachis.
ORGON
Le pauvre homme !
DORINE
La nuit se passa tout entière
Sans qu’elle put fermer un moment la paupière ;
Des chaleurs l’empêchaient de pouvoir sommeiller.
Et jusqu'au jour, près d’elle, il nous fallut veiller.
ORGON
Et Tartuffe ?
DORlNE
Pressé d'un sommeil agréable,
Il passa dans sa chambre au sortir de la table ;
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.
ORGON
Le pauvre homme !
DORINE
A la fin, par nos raisons gagnée,
Elle se résolut à souffrir la saignée ;
Et le soulagement suivit tout aussitôt.
ORGON
Et Tartuffe ?
DORINE
Il reprit courage comme il faut ;
Et, contre tous les maux fortifiant son âme,
Pour réparer le sang qu’avait perdu madame,
But, à son déjeuner, quatre grands coups de vin.
ORGON
Le pauvre homme !
DORINE
Tous deux se portent bien enfin ;
Et je vais à madame annoncer par avance
La part que vous prenez à sa convalescence.
Où l’on rappelle comme Tartuffe s’est incrusté dans la maison d’Orgon.
Où Cléante tente, dans une belle tirade (vv.351-407), de convaincre son beau-frère Orgon de l’hypocrisie de Tartuffe :
Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux
Que le dehors plâtré d’un zèle spécieux,
Que ces francs charlatans, que ces dévots de place,
De qui la sacrilège et trompeuse grimace
Abuse impunément, et se joue, à leur gré,
De ce qu’ont les mortels de plus saint et sacré ;
Ces gens qui, par une âme à l’intérêt soumise,
Font de dévotion métier et marchandise
Et veulent acheter crédit et dignités
A prix de faux clins d’yeux et d’élans affectés […]
Tout l’acte tourne autour du mariage de Mariane, la fille d’Orgon. D’abord promise à Valère, elle se voit obligée par son père d’épouser Tartuffe.
ORGON
Mariane.
MARIANE
Mon père.
ORGON
Approchez. J'ai de quoi
Vous parler en secret.
MARIANE
Que cherchez-vous?
ORGON. Il regarde dans un petit cabinet.
Je vois
Si quelqu'un n'est point là, qui pourrait nous entendre:
Car ce petit endroit est propre pour surprendre.
Or sus, nous voilà bien. J'ai, Mariane, en vous,
Reconnu, de tout temps, un esprit assez doux;
Et de tout temps aussi vous m'avez été chère.
MARIANE
Je suis fort redevable à cet amour de père.
ORGON
C'est fort bien dit, ma fille; et pour le mériter,
Vous devez n'avoir soin que de me contenter.
MARIANE
C'est où je mets aussi ma gloire la plus haute.
ORGON
Fort bien. Que dites-vous de Tartuffe notre hôte?
MARIANE
Qui, moi?
ORGON
Vous. Voyez bien comme vous répondrez.
MARIANE
Hélas! j'en dirai, moi, tout ce que vous voudrez.
ORGON
C'est parler sagement. Dites-moi donc, ma fille,
Qu'en toute sa personne un haut mérite brille,
Qu'il touche votre cœur, et qu'il vous serait doux
De le voir, par mon choix, devenir votre époux.
Eh?
(Mariane se recule avec surprise.)
MARIANE
Eh?
ORGON
Qu'est-ce?
MARIANE
Plaît-il?
ORGON
Quoi?
MARIANE
Me suis-je méprise?
ORGON
Comment?
MARIANE
Qui voulez-vous, mon père, que je dise,
Qui me touche le cœur, et qu'il me serait doux
De voir, par votre choix, devenir mon époux?
ORGON
Tartuffe.
MARIANE
Il n'en est rien, mon père, je vous jure:
Pourquoi me faire dire une telle imposture?
ORGON
Mais je veux que cela soit une vérité;
Et c'est assez pour vous, que je l'aie arrêté.
MARIANE
Quoi! vous voulez, mon père...
ORGON
Oui, je prétends, ma fille,
Unir, par votre hymen, Tartuffe à ma famille.
Il sera votre époux, j'ai résolu cela;
Mariane, abasourdie, est réduite au silence,
Un père, je l’avoue, a sur nous tant d’empire,
Que je n’ai jamais eu la force de rien dire.
Alors que sa servante, Dorine, l’invite à se rebeller, intervient Valère qui se dispute avec sa belle pour mieux se réconcilier par après.
Ce n’est qu’à partir de cet acte qu’intervient Tartuffe, le faux dévot. Son discours est de fait double : d’une scène à l’autre, de Dorine à Elmire…
TARTUFFE, parlant haut à son valet, qui est dans la maison, dès qu'il aperçoit Dorine.
Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le ciel vous illumine.
Si l’on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j’ai partager les deniers.
DORINE, à part.
Que d’affectation et de forfanterie !
TARTUFFE
Que voulez-vous ?
DORINE
Vous dire...
TARTUFFE, tirant un mouchoir de sa poche.
Ah! mon Dieu ! je vous prie,
Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir.
DORINE
Comment !
TARTUFFE
Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
DORINE
Vous êtes donc bien tendre à la tentation ;
Et la chair sur vos sens fait grande impression !
Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte :
Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte ;
Et je vous verrais nu, du haut jusques en bas,
Que toute votre peau ne me tenterait pas.
Scène 3
Tartuffe se dévoile devant Elmire, souligne qu’à Marianne, il préfère les merveilleux attraits d’Elmire (v.927).
TARTUFFE
Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme :
Et, lorsqu’on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre et ne raisonne pas.
Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange ;
Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange ;
[…]
Je sais que vous avez trop de bénignité,
Et que vous ferez grâce à ma témérité ;
Que vous m’excuserez sur l’humaine faiblesse,
Des violents transports d’un amour qui vous blesse,
Et considérerez, en regardant votre air,
Que l’on n’est pas aveugle, et qu’un homme est de chair.
Dans les scènes suivantes, Damis dénonce auprès de son père Orgon le jeu double et trouble de Tartuffe. Celui-ci se défend habilement :
ORGON
Ce que je viens d'entendre, ô ciel ! est-il croyable ?
TARTUFFE
Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand scélérat qui jamais ait été.
Chaque instant de ma vie est chargé de souillures ;
Elle n’est qu’un amas de crimes et d'ordures ;
Et je vois que le ciel, pour ma punition,
Me veut mortifier en cette occasion.
De quelque grand forfait qu'on me puisse reprendre,
Je n'ai garde d’avoir l’orgueil de m’en défendre.
Croyez ce qu’on vous dit, armez votre courroux,
Et comme un criminel chassez-moi de chez vous ;
Je ne saurais avoir tant de honte en partage,
Que je n'en aie encor mérité davantage.
ORGON, à son fils.
Ah ! traître, oses-tu bien, par cette fausseté,
Vouloir de sa vertu ternir la pureté ?
DAMIS
Quoi ! la feinte douceur de cette âme hypocrite
Vous fera démentir...
ORGON
Tais-toi, peste maudite !
TARTUFFE
Ah ! laissez-le parler ; vous l'accusez à tort,
Et vous feriez bien mieux de croire à son rapport.
Pourquoi sur un tel fait m'être si favorable ?
Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ?
Vous fiez-vous, mon frère, à mon extérieur ?
Et, pour tout ce qu'on voit, me croyez-vous meilleur ?
Non, non: vous vous laissez tromper à l'apparence ;
Et je ne suis rien moins, hélas! que ce qu'on pense.
Tout le monde me prend pour un homme de bien ;
Mais la vérité pure est que je ne vaux rien.
S'adressant à Damis.
Oui, mon cher fils, parlez ; traitez-moi de perfide,
D'infâme, de perdu, de voleur, d'homicide ;
Accablez-moi de noms encore plus détestés :
Je n'y contredis point, je les ai mérités ;
Et j'en veux à genoux souffrir l'ignominie,
Comme une honte due aux crimes de ma vie.
ORGON
Mon frère, c’en est trop. Ton cœur ne se rend point,
Traître !
DAMIS
Quoi ! ses discours vous séduiront au point...
ORGON
Tais-toi, pendard ! Mon frère, hé ! levez-vous, de grâce
A son fils
Infâme! […]
TARTUFFE
Laissez-le en paix. S’il faut, à deux genoux,
Vous demander sa grâce…
Elmire tend un piège à Tartuffe afin qu’il révèle sa véritable personnalité aux yeux et oreilles d’Orgon. Pour ce faire, elle place son époux sous une table et invite Tartuffe à se confier…
Elmire
Approchons cette table, et vous mettez dessous.
Orgon
Comment !
Elmire
Vous bien cacher est un point nécessaire.
Orgon
Pourquoi sous cette table ?
Elmire
Ah ! mon Dieu ! laissez faire ;
J'ai mon dessein en tête, et vous en jugerez.
Mettez-vous là, vous dis-je, et, quand vous y serez,
Gardez qu'on ne vous voie et qu'on ne vous entende.
Orgon
Je confesse qu'ici ma complaisance est grande :
Mais de votre entreprise il vous faut voir sortir.
Elmire
Vous n'aurez, que je crois, rien à me repartir.
A Orgon, qui est sous la table.
Au moins, je vais toucher une étrange matière,
Ne vous scandalisez en aucune manière.
Quoi que je puisse dire, il doit m'être permis ;
Et c'est pour vous convaincre, ainsi que j'ai promis.
Je vais par des douceurs, puisque j'y suis réduite,
Faire poser le masque à cette âme hypocrite,
Flatter de son amour les désirs effrontés,
Et donner un champ libre à ses témérités.
Comme c'est pour vous seul, et pour mieux le confondre
Que mon âme à ses vœux va feindre de répondre,
J'aurai lieu de cesser dès que vous vous rendrez,
Et les choses n'iront que jusque où vous voudrez.
C'est à vous d'arrêter son ardeur insensée
Quand vous croirez l'affaire assez avant poussée,
D'épargner votre femme, et de ne m'exposer
Qu'à ce qu'il vous faudra pour vous désabuser.
Ce sont vos intérêts, vous en serez le maître,
Et... L'on vient. Tenez-vous, et gardez de paraître.
Tartuffe
On m'a dit qu'en ce lieu vous me vouliez parler.
Elmire
Oui. L'on a des secrets à vous y révéler.
Mais tirez cette porte avant qu'on vous les dise,
Et regardez partout, de crainte de surprise.
Tartuffe va fermer la porte, et revient.
[…]
Pour mieux braver l'éclat des mauvais jugements,
Il veut que nous soyons ensemble à tous moments ;
Et c'est par où je puis, sans peur d'être blâmée,
Me trouver ici seule avec vous enfermée,
Et ce qui m'autorise à vous ouvrir un cœur
Un peu trop prompt peut-être à souffrir votre ardeur.
Tartuffe
Ce langage à comprendre est assez difficile,
Madame ; et vous parliez tantôt d'un autre style.
Elmire
Ah ! si d'un tel refus vous êtes en courroux,
Que le cœur d'une femme est mal connu de vous !
Et que vous savez peu ce qu'il veut faire entendre
Lorsque si faiblement on le voit se défendre !
Toujours notre pudeur combat, dans ces moments,
Ce qu'on peut nous donner de tendres sentiments.
Quelque raison qu'on trouve à l'amour qui nous dompte,
On trouve à l'avouer toujours un peu de honte.
On s'en défend d'abord : mais de l'air qu'on s'y prend
On fait connaître assez que notre cœur se rend,
Qu'à nos vœux, par honneur, notre bouche s'oppose,
Et que de tels refus promettent toute chose.
C'est vous faire, sans doute, un assez libre aveu,
Et sur notre pudeur me ménager bien peu.
[…]
Tartuffe
C'est sans doute, madame, une douceur extrême
Que d'entendre ces mots d'une bouche qu'on aime ;
Leur miel dans tous mes sens fait couler à longs traits
Une suavité qu'on ne goûta jamais.
Le bonheur de vous plaire est ma suprême étude,
Et mon cœur de vos vœux fait sa béatitude ;
Mais ce cœur vous demande ici la liberté
D'oser douter un peu de sa félicité.
Je puis croire ces mots un artifice honnête
Pour m'obliger à rompre un hymen qui s'apprête ;
Et, s'il faut librement m'expliquer avec vous,
Je ne me fierai point à des propos si doux,
Qu'un peu de vos faveurs, après quoi je soupire,
Ne vienne m'assurer tout ce qu'ils m'ont pu dire,
Et planter dans mon âme une constante foi
Des charmantes bontés que vous avez pour moi.
Elmire, après avoir toussé pour avertir son mari.
Quoi ! vous voulez aller avec cette vitesse,
Et d'un cœur tout d'abord épuiser la tendresse ?
On se tue à vous faire un aveu des plus doux ;
Cependant ce n'est pas encore assez pour vous ?
Et l'on ne peut aller jusqu'à vous satisfaire,
Qu'aux dernières faveurs on ne pousse l'affaire ?
Tartuffe
Moins on mérite un bien, moins on l'ose espérer.
Nos vœux sur des discours ont peine à s'assurer.
On soupçonne aisément un sort tout plein de gloire,
Et l'on veut en jouir avant que de le croire.
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
Je doute du bonheur de mes témérités ;
Et je ne croirai rien, que vous n'ayez, madame,
Par des réalités, su convaincre ma flamme.
Elmire
Mon Dieu ! que votre amour en vrai tyran agit !
Et qu'en un trouble étrange il me jette l'esprit !
Que sur les cœurs il prend un furieux empire !
Et qu'avec violence il veut ce qu'il désire !
Quoi ! de votre poursuite on ne peut se parer,
Et vous ne donnez pas le temps de respirer ?
Sied-il bien de tenir une rigueur si grande,
De vouloir sans quartier les choses qu'on demande,
Et d'abuser ainsi, par vos efforts pressants,
Du faible que pour vous vous voyez qu'ont les gens :
Tartuffe
Mais si d'un œil bénin vous voyez mes hommages,
Pourquoi m'en refuser d'assurés témoignages ?
Elmire
Mais comment consentir à ce que vous voulez,
Sans offenser le ciel dont toujours vous parlez ?
Tartuffe
Si ce n'est que le ciel qu'à mes vœux on oppose,
Lever un tel obstacle est à moi peu de chose ;
Et cela ne doit pas retenir votre cœur.
Elmire
Mais des arrêts du ciel on nous fait tant de peur !
Tartuffe
Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l'art de lever les scrupules,
Le ciel défend, de vrai, certains contentements,
Mais on trouve avec lui des accommodements.
Selon divers besoins, il est une science
D'étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l'action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, madame, on saura vous instruire ;
Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire.
Contentez mon désir, et n'ayez point d'effroi ;
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.
Elmire tousse plus fort.
Vous toussez fort, madame.
Elmire
Oui, je suis au supplice.
Tartuffe
Vous plaît-il un morceau de ce jus de réglisse ?
Elmire
C'est un rhume obstiné, sans doute; et je vois bien
Que tous les jus du monde ici ne feront rien.
Tartuffe
Cela, certes, est fâcheux.
Elmire
Oui, plus qu'on ne peut dire.
Tartuffe
Enfin votre scrupule est facile à détruire.
Vous êtes assurée ici d'un plein secret,
Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait.
Le scandale du monde est ce qui fait l'offense,
Et ce n'est pas pécher que pécher en silence.
Elmire, après avoir encore toussé et frappé sur la table.
Enfin je vois qu'il faut se résoudre à céder ;
Qu'il faut que je consente à vous tout accorder ;
Et qu'à moins de cela je ne dois point prétendre
Qu'on puisse être content, et qu'on veuille se rendre.
Sans doute il est fâcheux d'en venir jusque-là,
Et c'est bien malgré moi que je franchis cela ;
Mais, puisque l'on s'obstine à m'y vouloir réduire,
Puisqu'on ne veut point croire à tout ce qu'on peut dire,
Et qu'on veut des témoins qui soient plus convaincants ;
Il faut bien s'y résoudre et contenter les gens.
Si ce consentement porte en soi quelque offense,
Tant pis pour qui me force à cette violence :
La faute assurément n'en doit point être à moi.
Tartuffe
Oui, madame, on s'en charge ; et la chose de soi...
Elmire
Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie,
Si mon mari n'est point dans cette galerie.
Tartuffe
Qu'est-il besoin pour lui du soin que vous prenez ?
C'est un homme, entre nous, à mener par le nez.
De tous nos entretiens il est pour faire gloire,
Et je l'ai mis au point de voir tout sans rien croire.
Elmire
Il n'importe. Sortez, je vous prie, un moment ;
Et partout là dehors voyez exactement.
Scène VI
Orgon, Elmire.
Orgon, sortant de dessous la table.
Voilà je vous l'avoue, un abominable homme !
Je n'en puis revenir, et tout ceci m'assomme.
Elmire
Quoi! vous sortez si tôt ! Vous vous moquez des gens.
Rentrez sous le tapis, il n'est pas encor temps ;
Attendez jusqu'au bout pour voir les choses sûres,
Et ne vous fiez point aux simples conjectures.
Orgon
Non, rien de plus méchant n'est sorti de l'enfer.
Elmire
Mon Dieu ! l'on ne doit point croire trop de léger.
Laissez-vous bien convaincre avant que de vous rendre ;
Et ne vous hâtez pas, de peur de vous méprendre.
Elmire fait mettre Orgon derrière elle.
C’est le dénouement de la pièce.
Orgon déniaisé, sa colère est grande. Le dernier acte se termine presque comme il avait commencé, par les interventions de Madame Pernelle mère :
Les gens de bien sont enviés toujours. […]
Je vous l’ai dit cent fois quand vous étiez petit :
La vertu dans le monde est toujours poursuivie ;
Les envieux mourront, mais non jamais l’envie
Elle-même doit cependant reconnaître l’infamie de l’hypocrite Tartuffe lorsque celui-ci, en guise de vengeance, cherche à exproprier la famille Orgon, ce qui se serait fait sans l’intervention d’un souverain qui mieux que du mal, […] se souvient du bien (v.1944)