Comédie de 1666
SGANARELLE, mari de Martine.
MARTINE, femme de Sganarelle.
MONSIEUR ROBERT, voisin de Sganarelle.
VALÈRE, domestique de Géronte.
LUCAS, mari de Jacqueline.
GÉRONTE, père de Lucinde.
JACQUELINE, nourrice chez Géronte, et femme de Lucas.
LUCINDE, fille de Géronte.
LÉANDRE, amant de Lucinde.
THIBAUT, père de Perrin.
PERIN, fils de Thibaut, paysan.
[Le Lieu de l'action n'est pas indiqué.]
...
MONSIEUR ROBERT.
Holà, holà, holà, fi, qu'est ceci ? Quelle infamie peste, soit le coquin, de battre ainsi sa femme.
MARTINE.
Les mains sur les côtés, lui parle en le faisant reculer, et à la fin, lui donne un soufflet.
Et je veux qu'il me batte moi.
MONSIEUR ROBERT.
Ah ! J'y consens de tout mon coeur.
MARTINE.
De quoi vous mêlez-vous ?
MONSIEUR ROBERT.
J'ai tort.
MARTINE.
Est-ce là votre affaire ?
MONSIEUR ROBERT.
Vous avez raison.
MARTINE.
Voyez un peu cet impertinent, qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes.
MONSIEUR ROBERT.
Je me rétracte.
MARTINE.
Qu'avez-vous à voir là-dessus ?
MONSIEUR ROBERT.
Rien.
MARTINE.
Est-ce à vous, d'y mettre le nez ?
MONSIEUR ROBERT.
Non.
MARTINE.
Mêlez-vous de vos affaires.
MONSIEUR ROBERT.
Je ne dis plus mot.
MARTINE.
Il me plaît d'être battue.
MONSIEUR ROBERT.
D'accord.
MARTINE.
Ce n'est pas à vos dépens.
MONSIEUR ROBERT.
Il est vrai.
MARTINE.
Et vous êtes un sot, de venir vous fourrer où vous n'avez que faire.
MONSIEUR ROBERT.
Il passe, ensuite, vers le mari, qui, pareillement, lui parle toujours en le faisant reculer : le frappe avec le même bâton et le met en fuite, il dit à la fin.
Compère, je vous demande pardon de tout mon cœur, faites, rossez, battez, comme il faut, votre femme, je vous aiderai si vous le voulez ?
SGANARELLE.
Il ne me plaît pas moi.
MONSIEUR ROBERT.
Ah ! C'est une autre chose.
SGANARELLE.
Je la veux battre, si je le veux : et ne la veux pas battre, si je ne le veux pas.
MONSIEUR ROBERT.
Fort bien.
SGANARELLE.
C'est ma femme, et non pas la vôtre.
MONSIEUR ROBERT.
Sans doute.
SGANARELLE.
Vous n'avez rien à me commander.
MONSIEUR ROBERT.
D'accord.
SGANARELLE.
Je n'ai que faire de votre aide.
MONSIEUR ROBERT.
Très volontiers.
SGANARELLE.
Et vous êtes un impertinent, de vous ingérer des affaires d'autrui : apprenez que Cicéron dit, qu'entre l'arbre et le doigt il ne faut point mettre l'écorce.
Ensuite, il revient vers sa femme, et lui dit, en lui pressant la main :
Ô çà, faisons la paix nous deux. Touche là.
MARTINE.
Oui ! Après m'avoir ainsi battue !
SGANARELLE.
Cela n'est rien, touche.
MARTINE.
Je ne veux pas.
SGANARELLE.
Eh !
MARTINE.
Non.
SGANARELLE.
Ma petite femme !
MARTINE.
Point.
SGANARELLE.
Allons, te dis-je.
MARTINE.
Je n'en ferai rien.
SGANARELLE.
Viens, viens, viens.
MARTINE.
Non, je veux être en colère.
SGANARELLE.
Fi, c'est une bagatelle, allons, allons.
MARTINE.
Laisse-moi là.
SGANARELLE.
Touche, te dis-je.
MARTINE.
Tu m'as trop maltraitée.
SGANARELLE.
Eh bien va, je te demande pardon, mets là, ta main.
MARTINE.
Je te pardonne,
Elle dit le reste bas.
mais tu le payeras.
SGANARELLE.
Tu es une folle de prendre garde à cela. Ce sont petites choses qui sont, de temps, en temps, nécessaires dans l'amitié : et cinq ou six coups de bâton, entre gens qui s'aiment, ne font que ragaillardir l'affection. Va, je m'en vais au bois : et je te promets, aujourd'hui, plus d'un cent de fagots.